Un Ebsien en Helvétie

Par Jean-François Richer

Presque tous les poignets suisses sont enrobés d’une montre de qualité. Cartier, Piaget, Rolex, Tissot sont en effet autant de marques de prestige que l’on est susceptible de voir accrochées aux avant-bras des Suisses. Et moi, le mien, mon poignet, eh bien, il a le haut privilège d’être habillé d’une montre en plastique noire Ferenzi payée 13 $ chez Jean Coutu, tout juste avant mon départ pour le pays des Helvètes, à Montréal. Le tic-tac de cette montre est tout simplement infernal! Dans les cours, à la Haute école de gestion de Genève (HEG), chacune des inspirations prises par le professeur, essoufflé d’avoir parlé trop vite et trop longtemps avant d’avoir songé à laisser pénétrer un peu d’air nouveau dans ses poumons, est ponctuée par le tic-tac de ma Ferenzi – surtout ne pas confondre avec Ferrari – qui gueule pour anéantir les rares moments de silence auxquels nous devrions avoir droit. Inutile d’expliquer mon malaise devant le fait de devoir exposer mes collègues à une montre qui semble souffrir du Syndrome de Gilles de la Tourette…

Plus sérieusement, la Suisse est une Confédération, tout comme le Canada, mais plutôt que d’être composée de provinces et de territoires, elle est composée de cantons, eux-mêmes subdivisés en communes. À la différence des provinces – signifiant, en latin, « pour les vaincus » –, les cantons (aussi appelés États ou Républiques – c’est tout dire de la différence qui sépare l’organisation du pouvoir politique suisse avec celle du Canada!), au nombre de 26, forment des entités politiques tout à fait indépendantes les unes des autres, signifiant de la sorte que chacun des cantons détient sa propre Constitution, son propre gouvernement et ses tribunaux. Loin de moi l’idée de vouloir entrer dans les détails relatifs à la structure politique de la Suisse – ce serait, pour plusieurs, d’un ennui herculéen –, je me dois tout de même de souligner le particularisme de son système politique, soit celui qui se veut l’héritier quasi unique de la démocratie directe chère aux Athéniens de l’Antiquité – démocratie semi-directe, dira-t-on, pour être plus précis. En effet, la démocratie suisse possède des éléments d’une démocratie représentative, à savoir que la population élit ses représentants au sein du gouvernement, certes, mais qu’elle a aussi la possibilité de prendre part à la vie politique, et ce, en présentant des lois ou en s’opposant à celles qui auraient déjà été approuvées par le gouvernement, moyennant 100 000 signatures citoyennes. Génial, non? Bon, je pourrais aussi vous parler de Guillaume Tell, des quatre langues officielles qui, en apparence, semblent poser moins de problèmes que la question (bi)linguistique du Canada et du Québec, du secret bancaire qui n’en est, hélas pour certains, de moins en moins un, du service militaire toujours obligatoire, des multiples organisations internationales qui logent sur le territoire, du fromage, du chocolat, de la fondue, des röstis, de la discutable et prétendue « neutralité » historique suisse, de la sublimité des Alpes, du Jura, des Grisons chers à un certain Nietzsche, de la lutte à la culotte, des combats de reines, de l’efficacité du réseau ferroviaire suisse, des Lavaux, du Cervin, du lac Léman, de la surabondance de stations de ski, etc., mais tout cela, vous pouvez facilement le trouver dans des guides de voyage ou autres ouvrages sur la Suisse. De toute façon, l’objectif principal de ce texte, car il faut bien en venir, est de vous parler du voyage d’études que j’ai réalisé lors de mon dernier semestre à la maîtrise en bibliothéconomie et en sciences de l’information. Le but premier est surtout de vous y inviter.

Parlons d’abord de mon installation. En deux mots : pas facile. Trouver un appartement en Suisse n’est effectivement pas une mince affaire. Les loyers sont chers (comme tout en Suisse, d’ailleurs) et les quelques-uns abordables sont rarissimes, notamment à Genève. Alors, le truc : être persévérant. On arrive toujours à trouver si l’on cherche bien et beaucoup. En tout cas, si certains d’entre vous souhaitent parfaire ses méthodes en recherche d’information, eh bien la recherche d’un endroit où loger en Suisse est à peu près la meilleure formation que vous puissiez avoir. Blague à part, la solution est surtout de chercher pour une colocation meublée – ce que j’ai fait… avec succès.

Parlons maintenant « stéréotype ». Le stéréotype selon lequel le peuple suisse est un peuple au caractère généralement froid, austère, rigide, droit, et j’en passe, en est un de ceux qu’il faille absolument jeter à la poubelle, car il n’en est rien. Du moins, cette caractéristique est peut-être assimilable aux Suisses alémaniques (germanophones) – encore que… –, mais certainement pas aux Suisses romands (francophones) qui sont tout le contraire.

De plus, je ne peux évidemment pas éviter le sujet de l’accent québécois. Cet accent, le mien, le vôtre peut-être, eh bien, ici, en Suisse, il est… adoré! S’il y a bien un pays hors du Québec dont une portion de sa population est francophone et où il ne faut surtout pas tomber dans le piège du colonisé voulant à tout prix emprunter l’accent de l’ancienne Métropole, c’est bien la Suisse. Les Suisses raffolent de l’accent québécois. Tellement qu’à certains moments, je me suis senti comme un animal de foire puisqu’on me demandait de parler juste pour parler, comme ça, simplement pour écouter mon « accent chou », me disait-on…

Bon, comme La Référence est un journal étudiant de l’EBSI, il serait bien que j’aborde un peu les sujets de la bibliothéconomie et des sciences de l’information, et, plus précisément, celui de mes études à la HEG et de ce que j’ai pu observer dans les bibliothèques suisses durant mon passage. D’emblée, la raison pour laquelle j’ai choisi la Suisse est, d’une part, parce que la beauté de ce château d’eau de l’Europe m’a toujours émerveillée (cliché!) et, d’autre part, parce que l’EBSI dispose d’un accord bilatéral avec la HEG pour les voyages d’études (pratique!). Dans un premier temps, j’ai voulu m’informer davantage sur la HEG. Je suis donc allé lire les rapports rédigés par d’anciens étudiants de l’EBSI qui y ont réalisé un voyage d’études – rapports disponibles uniquement dans les locaux de la Maison internationale de l’UdeM. De mémoire, les derniers d’entre eux dataient des années 2011-2012. Je ne cache pas qu’ils m’ont un peu découragé, car tous négatifs à l’endroit du programme de Master en Information documentaire offert par cette école. Grosso modo, on y dit que le programme est mal structuré et que les intervenants (professeurs et chargés de cours) sont peu compétents. Or, je vous rassure, si tel était le cas, ce temps est révolu, car j’ai eu droit au parfait contre-pied de cette critique en suivant des cours structurés, donnés par des professeurs compétents et enseignés selon des méthodes anticonformistes – rafraichissant!

Par ailleurs, les bibliothèques publiques ont, à mon humble avis, grandement besoin de modernisation (par exemple, certaines d’entre elles, bien que situées en ville, n’ont aucun accès au WiFi!). En outre, la perception que les gens ont de la bibliothèque se résume à l’unique rôle d’offrir un espace de « dépôt de livres » – loin, donc, que cette perception soit à l’aube d’effleurer la notion du « troisième lieu ». Ainsi, les bibliothèques suisses restent plutôt archaïques en regard de leurs homologues au Québec.

En définitive, la Suisse représente un chantier remarquable en ce qui a trait à l’univers bibliothéconomique. Les bibliothèques suisses ont besoin de l’expertise, des compétences, de l’expérience, de la créativité et du savoir québécois. Alors, pourquoi ne pas venir y changer les choses, le temps d’un semestre ou deux, le temps d’un stage ou, encore, le temps de ne plus voir le temps avancer sur votre montre cheap qui se sera arrêtée sur votre route où le temps aura eu le temps d’échapper au tic-tac infernal du temps? Le temps d’un temps mort, donc.

Vue sur Lausanne

Vue sur Lausanne – Photo : © Jean-François Richer 2015

Lac Léman – Photo : © Jean-François Richer 2015

Lac Léman – Photo : © Jean-François Richer 2015

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