Débat : Devons-nous brûler nos livres?

ARTVstudio. Animation : Marie-Christine Trottier et Michèle Corbeil (directrice du festival).

Par Laetitia Le Clech

Nous étions conviés le samedi 26 septembre dernier à débattre, dans le cadre du Festival international de la littérature (FIL), « autour de l’avenir du livre et des autres traces écrites en cette ère du grand virage numérique » (d’après le programme du FIL). Le Festival international de la littérature, créé en 1994 par l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), célèbre les mots par des spectacles littéraires, des conférences et des animations originales et créatives.

Dans le petit ARTVstudio de la Place des Arts, plusieurs intervenants du domaine du livre, ainsi que de simples lecteurs, se sont exprimés sur ce vaste sujet : le directeur de la nouvelle Maison de la littérature de Québec, Bernard Gilbert, le directeur de l’UNEQ, Francis Farley-Chevrier, l’auteur, critique littéraire et journaliste Pierre Lepape, l’auteure, critique littéraire et éditrice Michèle Gazier, l’auteur, journaliste et éditeur Tristan Malavoy-Racine, le blogueur Manouane Beauchamp, le photographe officiel du FIL, Pierre Crépô (qui a établi une relation entre le traitement réservé aux livres et celui réservé à la photographie), l’écrivaine et animatrice de radio Violaine Forest, une ancienne archiviste, une journaliste du magazine L’actualité, et bien d’autres.

Grâce à cette diversité de participants, la discussion a pu s’ouvrir sur de nombreux horizons. Ainsi, parler de « brûler des livres », « se débarrasser de nos livres » ou, dans un acte moins définitif, les donner à des organismes ou à des amis, afin d’élaguer nos bibliothèques, pose la question de la durée de vie d’un livre, et en particulier de sa vie dans notre bibliothèque.

Dans notre monde mouvant, comment imaginer, par exemple, transporter notre bibliothèque si l’on doit partir vivre dans un autre pays? C’est ici que le support numérique intervient. Le livre numérique nous offre la possibilité de garder avec nous nos livres préférés, même en voyageant ou en immigrant.

D’autre part, le rêve d’une bibliothèque totale – cher aux grands lecteurs, mais rendu impossible par la quantité grandissante de publications nouvelles – ne pourrait devenir réaliste que par le biais d’une bibliothèque virtuelle, disent les défenseurs du livre numérique présents dans la salle.

L’idéal serait peut-être un équilibre entre les deux supports, afin de cesser de voir le livre numérique comme un adversaire du livre traditionnel. Les bibliothèques publiques gagneraient à suivre la vague du numérique pour ne pas perdre leurs lecteurs, selon une ancienne archiviste. Lorsque l’on pense à se débarrasser de certains de nos livres, il faudrait donc être prêt à ne garder que les livres-objets essentiels.

Du point de vue d’une spécialiste de la littérature jeunesse, le livre numérique perd tout intérêt dans ce domaine, où le contact avec le livre comme objet est d’une première importance pour l’enfant qui découvre la lecture. Le livre numérique – qui standardise tout, y compris le format – supprime toutes les particularités de cette littérature.

Néanmoins, pour d’autres clientèles – comme les aveugles, par exemple –, le livre numérique est un support indispensable. Cette avenue avait déjà été balisée par le livre audio. Par ailleurs, le livre numérique permet d’accéder très facilement à la littérature du monde entier, tel que le souligne Michèle Corbeil (la directrice du festival) qui se dit, malgré tout, plutôt réticente face au format.

Avant tout, la question essentielle, telle qu’énoncée par Tristan Malavoy-Racine, n’est-elle pas de savoir ce qui nous fait tant réagir lorsqu’il s’agit de parler de la « fin » du livre papier? Pourquoi le livre est-il vu comme un objet sacro-saint? Représente-t-il l’ultime refuge dans des temps de noirceur? Cette réflexion a provoqué à la fois l’euphorie et un silence perplexe dans l’assistance.

Le livre peut-il représenter, comme le souligne le photographe Pierre Crépô, une présence ancrée dans le temps face à l’instantanéité de notre époque? En effet, la valorisation du « commentaire » rapide et éphémère (puisqu’avoir une discussion sur les réseaux sociaux correspond, en quelque sorte, à une nouvelle forme de correspondance épistolaire) n’abolit-elle pas la notion du temps, étant donné que ces commentaires s’effacent souvent aussi vite qu’ils ont été écrits?

L’idée de « brûler nos livres » – que tous s’entendent à trouver horrible – a donc amené les participants de ce débat à réfléchir à plusieurs transformations, notamment celles de l’objet-livre, qui n’a pas vraiment changé depuis les débuts de l’imprimerie moderne (il y a plus de 550 ans), tel que l’a précisé l’auteur Pierre Lepape. Les modifications de l’écrit (entraînées par l’arrivée des réseaux sociaux) et les changements dans le comportement des lecteurs ont également été abordés, sans oublier les modifications que le support numérique entraîne (notamment pour les droits d’auteur) telles qu’expliqué par le directeur de l’UNEQ, Francis Farley-Chevrier.

Cependant, il semble n’y avoir qu’un pas entre l’océan de possibilités offertes par le numérique et… la noyade! Les chiffres relatifs aux ventes de livres numériques aux États-Unis ont baissé et laissent présager un retour en force du livre traditionnel. D’autre part, il se publie de plus en plus de romans chaque année, ce qui tend à relativiser les données catastrophistes sur la baisse de la popularité de la lecture. Tout ceci reste donc discutable.

Une réflexion qui se poursuit donc et qui devrait nous aider à envisager l’avenir, particulièrement à titre de futurs professionnels de l’information, en incluant ces nouvelles manières de lire, afin que personne ne s’y perde!

 

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