La censure dans la France des lumières

Par Kaouthar Koulmi

Dans le cadre du cours ARV2955, Histoire du livre et de l’imprimé, il nous a été demandé de produire un travail sur un sujet au choix. Par intérêt, nous avons sélectionné la censure en délimitant notre champ de recherche à la France des Lumières et aux livres, puisqu’ils constituaient alors le principal véhicule par lequel circulaient les idées. Dans le présent article, nous commencerons par présenter brièvement notre période. Puis, nous exposerons les mécanismes de la censure. Nous finirons cette analyse en montrant les failles de ce système.

Soulignons, pour commencer, que nous nous concentrerons sur la France, au détriment du reste du continent, d’abord parce que la documentation y était plus importante et parce que sa production intellectuelle était alors florissante. En effet, la censure faisait rage, alors que cet État était au cœur d’un grand épanouissement linguistique et rayonnait en Europe, notamment par les écrits de ses philosophes. Ces derniers remettaient tout en question. Diderot écrit d’ailleurs cette phrase dans l’article Encyclopédie, se trouvant dans son encyclopédie, qui donne une bonne image de ce temps : « Il faut tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement » (Deslandres, 2014). En contraste avec cette production massive d’écrits, la censure était très présente. Au fond, cela est compréhensible. À l’époque, la monarchie se voulait de droit divin; critiquer l’Église ou l’ordre établi, c’était remettre en question les bases sur lesquelles reposait un système légitimé par le choix d’un monarque par Dieu (Deslandres, 2014). Ce système chancelait aussi, puisqu’on remettait aussi en question les privilèges des uns, dans une société fonctionnant grâce à une division de castes (Deslandres, 2014). La plume était, en ce sens, une arme redoutable. Devant cette situation, la question de la liberté d’expression devenait des plus urgentes. L’État devait agir pour reprendre le dessus et encadrer cette production. C’est pour cette raison que le Code de la librairie est l’objet d’un arrêt du Conseil privé en 1723. Ce dernier encadre les imprimeurs et les libraires et les oblige à ne publier que les livres ayant été approuvés par la censure (Négroni, 1995, p.31). Notons que, dans le royaume de Louis XV, deux formes de censures laïques, nous entendons par là des censures faites par l’État, étaient appliquées. La première concernait les livres non parus, et l’autre, des ouvrages déjà imprimés. Les travailleurs de l’industrie du livre recevaient des listes royales des risques encourus par l’auteur ou ceux ayant permis à l’ouvrage de circuler. Ces risques pouvaient aller d’une simple amende à la condamnation à mort. De plus, on pouvait condamner un livre, a posteriori, si on le considérait « dangereux » après son impression. On avait la possibilité de tout bonnement l’interdire, ou de demander le retrait des passages « gênants » et de l’éditer à nouveau par la suite. Également, on encourageait les librairies parisiennes importantes, à qui on accordait des monopoles, à empêcher les provinces de produire des imprimés durs à contrôler. Ces librairies avaient intérêt à surveiller les autres producteurs illégaux pour ne pas que ces derniers ne leur volent leur marché (Négroni, 1995, p.31; Birn, 2007, p.13-16).

À présent, détaillons la structure étatique entourant la censure. Pour pouvoir publier un livre, il fallait avoir une permission par lettre scellée, provenant de la Chancellerie royale qui aurait préalablement approuvé le manuscrit. Pour ce faire, celui-ci est envoyé au Service des librairies de la chancellerie où il sera examiné par un censeur qui en fera un rapport. Ce rapport sera envoyé au directeur du service des librairies qui, avec ses adjoints, décideront ou non de la publication de l’ouvrage (Négroni, 1995, p.29-30). Le texte justifiant l’approbation du manuscrit et la signature du censeur doivent ensuite paraitre au début ou à la fin du livre, une fois celui-ci imprimé (Minois, 1995, p.188). En résumé, les manuscrits douteux, c’est-à-dire ceux en opposition aux valeurs prônées par le régime, ceux contre le roi par exemple, sont envoyés à la chancellerie royale, à la Direction de la Librairie, où des fonctionnaires en font l’analyse et choisissent ou non de le condamner. Entre 1750 et 1789, de 122 à 178 censeurs y ont été employés. Ces derniers autorisaient alors la publication avec des privilèges dont ils s’assuraient le respect grâce à une police des livres qui effectuait des visites régulières dans les librairies (Birn, 2007, p.28).

Toutes ces barrières semblent au premier regard, insurmontables. Pourtant, bien des textes arrivaient à passer à travers les mailles du filet. Étudions pourquoi. D’abord, pour des raisons économiques. Bien que l’on faisait en sorte d’interdire certains écrits déjà imprimés, plusieurs arrivaient à se vendre quand même. D’autant plus que les censeurs étaient pris entre deux feux, car permettre à un nombre trop restreint de livres d’être déclarés légaux revenait à voir proliférer les illégaux sur le marché noir, pour assouvir la soif des lecteurs. On empêchait ainsi les imprimeurs locaux de publier ces livres, mais ils paraissaient quand même à l’étranger et se vendaient en France par des moyens illégaux. Les autorités voyaient bien qu’ils perdaient beaucoup d’argent en empêchant les habitants du royaume de profiter de cette industrie. L’idéologie et le trésor national n’étaient pas en harmonie. La solution trouvée était d’accorder des « permissions tacites » (Négroni, 1995, p.35), c’est-à-dire pouvoir publier en France en indiquant une provenance étrangère sur l’ouvrage. Plus tôt, nous avons insisté sur le fait que les dissidents en matière de livre étaient exposés à de nombreuses conséquences, dont la mort. Ajoutons donc que le roi ne mettait souvent pas ses menaces à exécution. Ces dernières étant trop extrêmes et disproportionnées (Négroni, 1995, p.15). La quantité astronomique de documents interdits pousse les autorités, empêtrées dans cette vague et ne pouvant réagir efficacement, à tolérer plusieurs ouvrages, faute de pouvoir les maitriser. Cela, notamment parce que ces livres se vendaient dans un cercle de privilégiés (Négroni, 1995, p.34). Comme il a déjà été avancé, les auteurs du siècle des Lumières venaient des hautes sphères de la société et avaient des contacts dans le système en place. Il devenait alors plus facile de faire paraitre des œuvres grâce à l’appui des protecteurs qui étaient parfois les censeurs eux-mêmes. Des personnes influentes entretenaient aussi des amitiés avec ces écrivains. Ainsi : « Marchaud, Trudaine, les ducs de La Rochefoucauld, de Noaille, de Puységur, Maynon d’Invau, Turgot, Malherbes fréquentent et protègent les auteurs les plus audacieux » (Minois,1995, p.191). Rappelons que tous ces gens sont des nobles occupant des postes importants au sein de l’État. Malherbes était le chancelier en charge de la Librairie de 1750 à 1763 ! Il n’est donc pas étonnant que ces textes aient été publiés, le personnage à la tête du centre des affaires de la censure étant favorable aux philosophes.

Pour terminer cet exposé, le XVIIIe n’est pas appelé sans raison, le siècle des Lumières, celles de la raison contre un monde obscur. Malgré cela, la France d’Ancien régime était une France où un gouvernement usait de la censure pour protéger ses privilèges. Mais, les contraintes économiques, la tâche colossale et surtout la proximité des censeurs avec les auteurs qu’ils devaient, en principe, eux-mêmes limiter, rendaient finalement ces efforts caducs. Il arriva donc ce qui arriva. Ces idées, ayant circulées, minèrent un système chancelant et la révolution éclata entrainant un ordre nouveau. Le 26 août 1789 est promulgué la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen où l’on tente, par l’article 11 (Poitou, 2010), de permettre aux écrivains, en théorie du moins, de publier sans avoir à être censurés au préalable.

Références bibliographiques

Deslandres, D. (2014). HST-1041-A-A14 – Notes du cours 11 [Présentation PowerPoint]. Repéré dans l’environnement StudiUM: https://studium.umontreal.ca/
Barbara, N. (1995). Lectures interdites : le travail des censeurs au XVIIIe siècle,
1723-1774. Paris, France : Albin Michel.
Raymond, B. (2007). La censure Royale des livres dans la France des lumières.
Paris, France : Odile Jacob.

Minois, G. (1995). Censure et culture sous l’Ancien Régime. Paris, France :
Fayard.

Poitou, J. (2010). La censure en France sous l’Ancien Régime, [en ligne]. Repéré à http://j.poitou.free.fr/pro/html/cens/ancienregime.html

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